A quoi tenons-nous vraiment ?

par | 15 Oct 2022 | Climat – Environnement

A raison, la presse française a multiplié cette semaine les articles élogieux à l’occasion de la disparition de Bruno Latour.

 « A quoi tenons-nous vraiment, à quoi sommes-nous prêts à renoncer ? » nous interroge-t-il. Une question cruellement actuelle dans un pays où les automobilistes ne sont pas loin ces jours-ci d’en venir aux mains pour quelques litres de gasoil… à 2,50 € euros le litre. Pas très éloignée non plus des interrogations maladroites des jeunes activistes qui ont aspergé de soupe Les Tournesols de Van Gogh à la National Gallery : « Qu’est-ce qui a le plus de prix, l’art ou la vie ?

« Il avait pris la mesure avant beaucoup d’autres penseurs, de l’intime solidarité de l’homme avec le monde naturel » écrit La Croix …

Avant beaucoup d’autres penseurs ?

Au siècle dernier, alors que le monde avait été saisi par la menace de la destruction nucléaire, un certain nombre d’intellectuels avaient mis le doigt sur le sujet. Je pense à Rachel Carson, avec Silent Spring, son best-seller publié en 1962, évoquant les désastres causés par les pesticides. Je pense à Kenneth Ewart Boulding qui dans les année 1960 déjà nous alertait : « Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. ». Et à tant d’autres !

Mais sans traverser l’Atlantique, je pense aussi à un vieux compagnon, qui m’a accompagné, quelquefois à mon corps défendant, dès le Lycée.

Au bac de français, j’avais présenté six textes de lui, extraits des Essais. Ça devait faire à peu près tout que le Lagarde et Michard en avait extrait.  Avec beaucoup de soin, Maman en avait reporté les premiers et derniers mots à la machine à écrire sur la fiche à remettre à l’examinateur. Six textes, cela faisait près d’une chance sur trois de tomber sur lui … Las ! Le sort était finalement tombé sur Camus, ce qui n’est pas mal non plus …

Michel de Montaigne, de son vivant, s’était dit prêt à revenir de l’autre monde pour réfuter les lectures erronées de son œuvre. Alors, prudemment, je m’abriterai derrière Antoine Compagnon, écrivain, professeur au Collège de France et à Columbia University, qui dans « Un été avec Montaigne », évoque le rapport du philosophe avec la nature.

Bien avant l’anthropocène, mais peu après que la découverte des Amériques ait changé en profondeur le regard que l’homme avait sur le monde, Michel de Montaigne s’est interrogé sur son rapport à la nature, avec un scepticisme sur l’idée même de progrès.

Le dialogue de 1562 avec les Indiens de Rouen, les réflexions sur la corruption et le malheur qu’allaient immanquablement occasionner la conquête des Amériques sont si éclairants : le Nouveau Monde est plus proche de la nature que le Vieux, or la nature est toujours bonne à l’homme. « La colonisation de l’Amérique ne présage rien de bon, car le Vieux Monde corrompra le Nouveau » résume Antoine Compagnon.

Ce devrait en réalité être le cœur de notre débat sur l’écologie : « A quoi tenons-nous vraiment, à quoi sommes-nous prêts à renoncer ? » : merci Monsieur Latour, merci mon cher Montaigne !


iconographie : Vue d’artiste de Montaigne (huile sur toile, anonyme, vers 1800-1820)