Système bancaire : « Too Big to Shift » ?

par | 25 Mar 2021 | Finance Durable

Le 18 mars, la Banque centrale européenne (BCE) a publié un article de blog de Luis de Guindos, l’un de ses vice-président, détaillant le cadre du « stress test climatique à l’échelle de l’économie » de la BCE et ses résultats préliminaires.

Le test recouvre 4 millions d’entreprises dans le monde, 2000 banques et projets, et se projette à un horizon de 30 ans, avec pour objectif principal d’évaluer l’exposition des banques de la zone euro aux « risques climatiques futurs », en analysant la résilience de leurs contreparties dans différents scénarios climatiques.

Les risques physiques (augmentation attendue de la fréquence et de l’ampleur des catastrophes causées par les aléas naturels) et les risques de transition (introduction retardée ou brutale de politiques climatiques pour réduire les émissions de CO2) constituent une menace pour la stabilité financière via l’exposition potentielle des banques ou des institutions financières au défaut de paiement de leurs clients entreprises.

La BCE utilise le cadre du Network for Greening the Financial System (NGFS). Celui-ci classe les scénarios en quatre grands groupes, combinant deux dimensions importantes, le niveau d’effort d’atténuation et le degré d’incertitude de la transition.

  • Dans une première classe de scénarios, la transition vers une économie sobre en carbone se fait de manière « ordonnée », c’est à dire en douceur et de manière prévisible, tout en atteignant les objectifs climatiques, ce qui implique des risques de transition gérables et des risques physiques réduits.
  • À l’autre extrémité du spectre, la transition vers une économie sobre en carbone pourrait être insuffisante et se produire trop tard pour atteindre les objectifs climatiques et prévenir les risques physiques. À mesure que les risques physiques se matérialiseront, les économies pourraient devoir prendre des mesures de passage à une économie à faible émission de carbone, les risques de transition se matérialisant parallèlement aux risques physiques. Ce scénario « trop peu, trop tard » est probablement le plus dangereux à long terme.
  • Une situation intermédiaire pertinente pour les tests de résistance serait un « scénario désordonné », où une transition brusque se produit, impliquant une réponse perturbatrice avec des risques de transition élevés mais répondant aux objectifs climatiques.
  • Le “hot house world” (littéralement « monde de la maison chaude ») représenterait le dernier cas, avec de graves risques physiques à long terme si nous continuons sur la tendance actuelle de nos modèles d’affaires.

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Les résultats corroborent la vision de la BCE selon laquelle les économies doivent de toute urgence passer à un statut « plus vert » pour garantir que les deux objectifs de l’Accord de Paris soient atteints tout en minimisant « la perturbation à long terme de nos économies, de nos entreprises et de nos moyens de subsistance ».

Sans surprise, 15 ans après le rapport Stern, la BCE conclut que les coûts à court terme de l’adaptation sont « nettement inférieurs aux coûts potentiellement considérables des catastrophes naturelles à moyen et long terme ». En l’absence de politiques climatiques ambitieuses et d’un surcroit de réglementation, les coûts pour les entreprises des événements extrêmes devraient être substantiels.

Dans ce contexte, la publication le 24 mars par un collectif d’ONG « climatiques » d’un nouveau rapport intitulé Banking on Climate Chaos 2021 est assez déconcertante du point de vue de la stabilité financière de la zone euro.

Analysant les activités des 60 plus grandes banques commerciales et d’investissement du monde, le rapport souligne leur rôle de premier plan dans le financement bancaire et la souscription d’émissions de titres de créance et d’actions du secteur des combustibles fossiles.

La bonne nouvelle ? Au niveau mondial, le financement des combustibles fossiles a chuté de 9% l’année dernière, parallèlement à la baisse mondiale de la demande et de la production de combustibles fossiles due à la pandémie de COVID-19.

La mauvaise nouvelle : les niveaux de 2020 sont restés plus élevés qu’en 2016, l’année suivant immédiatement l’adoption de l’Accord de Paris. De plus, dans certains domaines, en particulier dans l’Union européenne, il est en forte progression :

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On peut le dire : ces résultats sont très contre-intuitifs, dans un domaine où les banques ne perdent jamais l’occasion de se vanter de leur engagement sur le sujet.

La « vérité qui dérange », pour reprendre le film éponyme de Al Gore, c’est que les plus grandes banques ont peut-être leurs bilans tellement chargés en actifs fossiles qu’elles ne peuvent pas arrêter de financer ces entreprises sans mettre leur propre stabilité en danger.

Depuis 2008, nous savions qu’elles étaient « too big to fail ». Devons-nous admettre aujourd’hui l’idée qu’elles soient aussi « too big to shift », incapables de passer à une économie décarbonée ?

Si tel est le cas, au lieu de réinventer la roue, la Banque centrale européenne serait bien avisée de réfléchir, à travers son mécanisme de surveillance unique, à la manière de résoudre ce problème, en créant des instruments de défaisance par exemple : il faut peut-être accompagner le système bancaire de la zone euro dans sa sortie de l’addiction à l’économie carbonisée.


Iconographie: Super pétrolier NS Lion, détroit du Bosphore, Istanbul, Turquie © AP