Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Karl Marx est un texte publié en 1852 pour analyser le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en France.
Le texte commence par une phrase célèbre : “Hegel remarque quelque part que tous les grands événements et personnages de l’histoire se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.” Marx voit dans le coup d’État de Louis-Napoléon une “farce”, une copie affaiblie du grand Empire de Napoléon Ier, où l’ambition impériale tourne au théâtre.
Une « farce » : Comment ne pas penser au duo Trump-Musk, leur comportement théâtral, leur goût pour la provocation, leur style irrévérencieux ?…
Colère populaire et défiance des élites
Un des points centraux de Marx est l’analyse de la colère des classes populaires en France entre 1848 et 1851. La République de l’époque, bien qu’ayant mis fin à la monarchie, ne parvient pas à répondre aux besoins des ouvriers et des paysans, qui se sentent trahis par les élites urbaines. Louis-Napoléon Bonaparte capitalise sur ce mécontentement pour se présenter en “sauveur” du peuple.
La comparaison avec le Trump de 2016, est tentante : lui aussi a su capter le sentiment de frustration des classes populaires, et en particulier de la classe ouvrière blanche frappée par les effets de la mondialisation et la désindustrialisation. Les électeurs de Trump se sentaient abandonnés par un système politique qui favorisait les grandes villes et les élites économiques.
En promettant de “drainer le marécage” de Washington et de restaurer une Amérique prospère, Trump, à la manière de Louis-Napoléon, a su transformer cette frustration en soutien politique.
L’État comme machine autonome
Marx décrit comment Louis-Napoléon s’appuie sur la bureaucratie et l’armée pour créer un État qui semble fonctionner de manière autonome, indépendamment des classes sociales. Ce coup d’État, selon Marx, incarne un moment où l’État devient un instrument au service d’un seul homme, se plaçant au-dessus des divisions de classes pour asseoir son autorité.
Dans le cas de Trump, bien que les institutions américaines se soient révélées solides jusque-là, on retrouve cette tendance à s’émanciper des freins traditionnels, à contourner les normes établies. Durant son premier mandat, Trump a multiplié les décrets pour renforcer son autorité exécutive et a souvent ignoré ou défié les institutions … jusqu’à faire marcher ses partisans vers le Capitole.
Cette centralisation autour de sa personne a parfois fait craindre une dérive autoritaire, un État “autonome” agissant au service d’une figure charismatique, ce que Marx décrit dans le cas de Louis-Napoléon.
Le populisme et la nostalgie d’une grandeur passée
Dans Le 18 Brumaire, Marx souligne combien Louis-Napoléon a su séduire les classes populaires françaises en jouant sur la nostalgie de l’Empire de Napoléon Ier. Beaucoup de Français, en particulier les paysans, voyaient dans cet Empire un âge d’or, une époque de stabilité et de grandeur. Louis-Napoléon a exploité cette nostalgie pour se poser en continuateur de son oncle, même si le contexte avait radicalement changé.
Ce recours au passé a aussi été l’une des armes les plus puissantes de Trump. Avec son slogan “Make America Great Again”, il a promis un retour à un passé idéalisé où l’Amérique dominait le monde et offrait des emplois stables à sa population.
Dans les deux cas, le passé sert de mythe mobilisateur, attirant les électeurs vers une vision simpliste mais rassurante de l’avenir.
L’échec des forces d’opposition
Enfin, Marx montre comment l’opposition politique à Louis-Napoléon était fragmentée et impuissante à contrer son ascension. La gauche révolutionnaire française de l’époque était divisée, empêchant toute réponse organisée face au coup d’État.
On s’interrogera longtemps sur les raisons pour lesquelles le Parti démocrate a mené en 2024 la campagne déconnectée qui l’avait fait perdre en 2016. Mais les faits sont là : déconnecté des réalités des classes populaires, il n’a pas su canaliser leur mécontentement, tandis que les élites républicaines étaient divisées sur le phénomène Trump.
Relire Le 18 Brumaire à l’ère de Trump, c’est redécouvrir un texte qui, bien que centré sur le XIXe siècle, éclaire les ressorts des dérives populistes … des deux cotés de l’Atlantique.
Iconographie : L’Empereur Napoléon III, Alexandre Cabanel, huile sur toile H 2.38, L 1.70, Chateau de Compiègne
Après avoir travaillé en tant que banquier international pour des pays émergents, Laurent Lascols est devenu responsable mondial risque pays / risque souverain (de 2008 à 2013) puis directeur mondial des affaires publiques (de 2014 à 2019) pour Société Générale. Depuis début 2023, il est associé-gérant de ARISTOTE, un cabinet de conseil et organisme de formation dédié à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la finance durable et la finance à impact.