Demain le Brexit

par | 7 Août 2018 | Gouvernement

Le mot « Brexit » désigne tout à la fois le référendum du 23 juin 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne, la procédure de retrait entamée le 29 mars 2017 par la notification dite de l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne, et l’ensemble des débats qui entourent ce processus.

La future relation, notamment commerciale, à établir entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne à 27 ne relève pas de ce terme de « Brexit » à proprement parler. Même si elle est au coeur des tensions politiques internes au Royaume-Uni comme en témoignent les récentes démissions du Cabinet de Theresa May.

Le 29 avril 2017, suite à la notification britannique, le Conseil Européen a défini les conditions de la discussion à mener par l’Union Européenne à 27 (EU27) en vue de ce retrait. C’est dès ce moment que les Vingt-Sept ont estimé qu’il fallait d’abord régler les questions liées au divorce avant de  négocier un accord commercial, bien que le Royaume-Uni ait à plusieurs reprises fait savoir qu’il préférait que cela se fasse en parallèle.

Dans une communication (en anglais uniquement) publiée le 19 juillet de cette année, et dans la droite ligne des conclusions du Conseil Européen de fin juin, la Commission Européenne a appelé les 27 Etats membres et les parties prenantes et acteurs privés à accélérer leur préparation en perspective de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne le 30 mars 2019.

Deux scénarios

Deux scénarios sont possibles :

Le premier est celui d’un accord sur le retrait et la période de transition ratifié avant le 30 mars 2019 (i) par le Parlement Européen (en séance plénière à la majorité simple), (ii) par le Parlement britannique, puis (iii) par le Conseil Européen (à la majorité qualifiée). Dans cette hypothèse, le droit européen continuerait de s’appliquer au Royaume-Uni jusqu’à la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020, date à laquelle il basculerait dans un régime de « pays-tiers.

En cas d’absence d’accord sur le retrait avant le 30 mars 2019, la période de transition devenant caduque, le droit de l’Union Européenne cessera de s’appliquer au Royaume-Uni le 30 mars 2019. Dans le jargon technocratique bruxellois, ce scénario est appelé « cliff-edge », évoquant une promenade par un épais brouillard au bord des falaises blanches de Douvres.

Les britanniques restent malgré tout des gens pragmatiques : des documents de travail commencent à circuler de l’autre coté de la Manche, émettant l’idée de régimes temporaires calqués sur le droit européen, ce qui reviendrait à mettre en place une sorte de période de transition unilatérale.

Dans un papier récent qu’il a publié sur le site de la Commission Européenne, Michel Barnier indique que nous sommes déjà d’accord sur 80%. Sans le nommer, il fait référence à l’accord partiel du 19 mars dernier sur les droits des citoyens, le respect des engagements financiers du Royaume-Uni (dans des conditions que je n’ai pas bien comprises encore), et la période de transition. C’est l’optimisme du diplomate : la période de transition, ne sera acquise que sous réserve d’accord sur tout le reste. C’est la fameuse expression britannique « nothing is agreed until everything is agreed« , qu’on pourrait traduire par « pas d’accord du tout tant que pas d’accord sur tout« .

La question des frontières

Le problème est que les 20% qui restent portent sur le sujet certainement le plus sensible, au coeur des préoccupations des citoyens, partout en Europe d’ailleurs : la question des frontières.

Des négociations bilatérales sont en cours pour solutionner les questions relatives aux bases souveraines britanniques à Chypre, ou au territoire de Gibraltar. Elles ne seront pas faciles à résoudre : les habitants de Gibraltar ont voté à 96% contre le Brexit, mais, dans une autre consultation, ils se sont prononcés à 99% pour rester britanniques …

Cependant c’est la question de l’Irlande qui semble bien la plus compliquée. Il faut préserver les acquis de l’accord dit « du Vendredi Saint » (10 avril 1998), qui en supprimant la frontière militarisée qui séparait l’île en deux, a fortement contribué à la paix entre les deux camps. Or, la sortie du Royaume-Uni de l’UE et le choix de Theresa May de se retirer du marché unique européen et de l’union douanière implique le rétablissement de contrôles douaniers à la frontière entre les deux Irlande, devenue frontière extérieure de l’UE.

Pour les amnésiques et tous ceux qui passent le plus clair de leur temps à cracher sur l’Europe, je ne résiste pas à la tentation de rappeler avec U2 ce que le conflit irlandais a signifié :

Une amie, catholique irlandaise née à Londonderry dans ces époques terribles, déjeunait à la maison samedi : « Il y aura des morts à nouveau ! » Tous les architectes du Good Friday Agreement s’accordent à dire que le rétablissement d’une frontière physique serait catastrophique. « Ce serait un désastre pour l’accord de paix, les relations anglo-irlandaises et le peuple nord-irlandais », estime Tony Blair. Un avis partagé par l’ancien Premier ministre irlandais Bertie Ahern.

L’Union Européenne exprime d’ailleurs, par la voix des équipes de Michel Barnier une position prudente sur le sujet. En insistant sur la capacité de l’UE 27 à améliorer sa proposition d’un espace commun de réglementation (en fait une Union Douanière) avec l’Irlande du Nord.

Un peu plus de deux ans après le vote, on en est là …

Il paraît que c’est ringard de dire que l’Europe, c’est la paix ?


Iconographie: soleil couchant sur les « pierres bleues » du site préhistorique de Stonehenge, en Angleterre © Max Alexander