Décroissance : le débat confisqué

par | 26 Sep 2020 | Economie – Social

« Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste… »

Cette citation de Kenneth E. Boulding, mentionnée par Jack Uldrich dans Jump the Curve (2008) est brillante mais mériterait en réalité d’être étendue à quelques autres catégories …

S’il avait vu le magnifique film Witness, sorti au milieu des années 80, notre Président saurait qu’opposer l’ancien et le nouveau monde n’est pas forcément pertinent lorsqu’il s’agit de faire face à une menace commune. Et aussi que – même marginale – toute communauté mérite a priori la bienveillance.

Kenneth E. Boulding n’était pas Amish mais Quaker (comme celui représenté sur nos boites de flocons d’avoine d’enfants). J’espère donc pouvoir l’évoquer sans paraître trop ridicule : les Amish rejettent la technologie en ce qu’elle rend moins dépendante de la communauté là où les quakers sont plus « libéraux ».`

Dans ce « Monde d’après », qui ressemble de plus en plus à un « Monde pendant », c’est, au-delà de la question de l’attribution des fréquences 5G, toute la question du débat sur le modèle économique souhaitable qui se voit confisqué. En particulier la question – allez je lâche le mot ! – de la décroissance.

Il y a un mois, dans le cadre emblématique des Universités d’été du  Medef, la journaliste Anne-Cécile Sarfati a ainsi interrogé, face à la jeune activiste pour le climat Camille Etienne, les « préoccupations de nantis très éduqués » des tenants de la décroissance. Masquée cette année, mais si peu, l’assistance a bien sûr chaleureusement applaudi cet argument imparable. Il y a un an, c’est un ancien président français qui dans le même cénacle avait mis les rieurs de son coté en moquant Greta Tunberg, « si sympathique, si souriante, tellement originale dans sa pensée ».

Quel niveau !

En vérité, la question de la croissance du PIB dans nos économies développées est réglée depuis longtemps. Au niveau macro, elle n’existe plus depuis des décennies que grâce à l’explosion des dettes, privées et publiques. Et elle ne profite qu’à très peu.

Dans les pays développés, tout le monde l’a compris depuis longtemps, à commencer par ceux – les plus nombreux – qui voient depuis des décennies leur niveau de vie s’éroder … au grand bénéfice des Trump, Farage et populistes de tout poil. Pas exactement des « nantis très éduqués » d’ailleurs. Les plus jeunes générations aussi l’ont compris, qui tentent de trouver de nouvelles voies (eco-conception, permaculture, agro-écologie … ).

C’est pourquoi, à part à jouer la montre, je ne sais trop pourquoi on continue inlassablement de faire de la croissance du PIB – fut-elle verte –un objectif central de nos politiques économiques.

A force de ne pas vouloir piloter une décroissance soutenable, n’allons-nous pas donner raison à d’autres théories, celles qui prédisent un effondrement de nos sociétés ?

Alors, revenons à Boulding : dans les années 1970-1980, (il est mort en 1993), il a développé une compréhension proprement révolutionnaire des nouvelles relations qui se tissent dans le monde ou plutôt de ce que devient la Terre.

Selon lui, la planète et l’image que l’homme a de celle-ci subissent actuellement une « grande transition » qui est schématiquement le passage d’un système ouvert à un système fermé. Dans un système ouvert, il est possible de concevoir n’importe quelle activité humaine. Dans un système fermé, l’homme ne peut plus agir comme bon lui semble s’il ne veut pas disparaître de la surface de la Terre. Il est embarqué sur un vaisseau spatial dont il convient d’assurer la sauvegarde.

Dès lors, l’environnement et l’économie deviennent indissociables. Et même en admettant que la grande partie des problèmes liés à l’environnement soient dus à des raisons plus larges que l’individu, une autre partie des problèmes est indéniablement due à l’addition de problèmes liés aux individus.

Bien sûr, les solutions aux problèmes planétaires actuels passent par de multiples niveaux. Mais en fin de compte, c’est selon Boulding l’attitude de l’homme qui doit changer.

Finalement, le Pape François n’est qu’un copieur !


Iconographie : « retour à la maison », Maysville, United States, © Randy Fath