Bâle : signez là, vraiment ?

par | 9 Juin 2017 | Finance Durable

Si les membres du Comité de Bâle, qui se réuniront à Lulea (Suède) les 14 et 15 juin, ont un petit peu de temps devant eux lors de leur escale à Stockholm, je leur suggérerais une brève visite du Musée d’Art Moderne. Ils pourraient y admirer le travail un peu provocateur (moi, j’adore !) de l’artiste polonais Tadeusz Kantor, oeuvre dont le titre est français : « Signez, s’il vous plait ».

L’intention initiale de l’artiste était de laisser le spectateur signer lui-même l’œuvre, en son absence … et le titre, ainsi que l’esprit du travail de cet artiste, résonnent tout à fait avec cette rencontre de Lulea.

Il faut remettre l’histoire dans l’ordre.

Le «Sommet sur « les marchés financiers et l’économie mondiale» du premier G20 s’est tenu à Washington DC les 14 et 15 novembre 2008, suivi le 2 avril 2009 par une deuxième réunion à Londres.

À la fin du Sommet de Londres, les dirigeants du G20 se sont engagés à renforcer la transparence et la responsabilité, la réglementation, à promouvoir l’intégrité sur les marchés financiers et à renforcer la coopération internationale. Je dois dire – et il n’y a aucune ironie ici – que les «sherpas» qui ont préparé le communiqué du sommet du G20 à Londres, ensuite endossé par les chefs de gouvernement / chefs d’État, ont été particulièrement inspirés.

  • La première décision a été de doter le «Forum de stabilité financière» d’une base institutionnelle plus solide et d’une capacité accrue à promouvoir la stabilité financière en le transformant en «Conseil de stabilité financière» (CSF), plus connu sous l’acronyme de FSB pour Financial Stability Board
  • Les dirigeants du G20 se sont également engagés à soutenir la coopération internationale entre diverses institutions, à savoir le Fonds monétaire international (FMI), le FSB, la Banque mondiale et le Comité de Bâle.
  • De façon plus pratique, ils ont fourni une feuille de route claire sur les questions les plus brûlantes, celles considérées comme étant aux racines de la crise financière : réglementations prudentielles, chambres de compensation, paradis fiscaux et juridictions non coopératives, normes comptables, agences de notation, etc…
  • Enfin, le communiqué de Londres demandait au FSB et au FMI de suivre les progrès opérés dans ces différents domaines, pour en rendre compte au final aux ministres des Finances et aux gouverneurs des banques centrales.

En ce qui concerne la réglementation prudentielle, le «Comité de Bâle sur le contrôle bancaire» (plus connu sous son acronyme en anglais de BCBS pour “Basel Committee on Banking Supervision”), mais aussi les faiseurs de normes comptables, étaient censés décliner ces objectifs.

Il est vrai que c’est un sujet plutôt technique, douloureux même pour certains, mais cela vaut la peine de comprendre ce qui est en jeu (à ce sujet, vous pouvez lire quelques anciens articles sur LinkedIn, republiés sur Aristote : (Bâle…mais lisez ! et Basel, DC).

Le Comité de Bâle a d’abord fait un excellent travail en donnant des directives obligatoires aux juridictions nationales afin d’améliorer la qualité et le niveau des fonds propres des banques. Les membres du Comité traitaient également de la question de la transformation de la liquidité dans le secteur bancaire, transférant ainsi le risque de liquidité à d’autres secteurs de l’économie, afin de protéger les déposants et les contribuables.

Ils ont également traité du risque d’un effet de levier excessif sur le bilan et le hors-bilan des banques en introduisant une mesure de «backstop», simple et sans risque. L’idée était d’avoir une mesure simple basée sur une représentation comptable des expositions qui ne soit pas sensible au risque de crédit sous-jacent et qui serve de corde de rappel dans la gestion financière des activités. Un seuil de 3% a ainsi été défini début 2016, avec l’objectif de de pas  constituer une contrainte trop importante pour la gestion des besoins en capital, et de préserver les modèles basés sur le risque, qui s’étaient finalement avérés relativement robustes dans les zones où ils étaient largement utilisés.

Toutes ces mesures ont été intégrées dans la plupart des législations nationales, mais certaines décisions finales doivent encore être prises en termes d’exigences de fonds propres, afin de réduire leur complexité, limiter leur disparités et in fine améliorer leur comparabilité entre les différentes législations.

A l’issue du sommet du G20 qui s’est tenu les 4 et 5 septembre 2016 dans la ville de Hangzhou en Chine, les dirigeants ont réitéré leur soutien aux travaux du BCBS visant à finaliser le cadre de Bâle III d’ici la fin 2016 « sans augmenter les besoins globaux de capitaux dans l’ensemble du secteur bancaire, tout en favorisant des conditions de concurrence équitables « .

Lorsque j’ai écrit ma chronique «Bâle IV, un choix politique …» juste après la réunion du BCBS, à Santiago du Chili, une réunion du «Groupe des gouverneurs et des responsables de la supervision» (GHOS pour“Group of Governors and Heads of Supervision”) était prévue pour le 8 janvier, mais étant donné l’environnement politique américain compliqué, la réunion a été annulée.

À Lulea, le BCBS pourrait se mettre d’accord sur le calibrage final du cadre complet. Si tel est le cas, le président du GHOS, le gouverneur Draghi, organisera probablement une réunion de l’organe de surveillance afin de valider ce cadre, avant ou peu après le sommet du G20 à Hambourg qui se tiendra les 7 et 8 juillet.

Pas de transparence sur l’ensemble révisé de propositions, pas de revue globale de l’ensemble des révisions et de leur interaction : le 15 juin, dans une ville d’environ 75000 habitants, quelque part sur la côte nord de la Suède, quelques experts internationaux pourraient signer un accord qui aura des conséquences négatives significatives sur la liquidité du marché et l’activité de crédit, pénalisant paradoxalement la plupart des expositions à un crédit de qualité.

L’économie européenne devrait donc être sévèrement pénalisée puisque 75% de son économie repose sur le financement bancaire.

Afin de convaincre les Européens de signer, les experts du BCBS ont suggéré une mise en œuvre très progressive (un «phase-in» dans le jargon des régulateurs) : ces dernières réformes prendraient leur plein effet en janvier 2027 … assez tôt pour avoir des conséquences sur les emplois de nos enfants ou petits-enfants, mais suffisamment tard pour n’avoir aucun effet sur les nôtres.

Nous sommes ici loin de la déclaration de Hangzhou et du mandat qui a été confié au FSB et au BCBS par les dirigeants du G20 …“

« Signez là !  » … Vraiment ?


Iconography : Tadeusz Kantor (Poland), « Signez, s’il vous plait », 1965, lower part, 130,5 x 195,3 © Moderna Museet, Stockholm, Sweden.